Passeur de mémoire, en escale à Darche
Vendredi 20 octobre 2017, Gerd Klestadt, survivant rescapé des camps de concentration de Westerbork et de Bergen-Belsen est venu au Lycée Darche afin d’y rencontrer des élèves et leur transmettre son expérience passée dans l’enfer nazi pendant la Seconde Guerre mondiale. Retour sur une matinée exceptionnelle, à destination des deux classes de 2nde CAP Cuisine et de Terminale Bac Pro ASSP Structure, soit 45 lycéens venus avec leurs enseignants pour être face à l’Histoire…
La parole en spectacle
Titre de l’un des objets d’étude du programme de Français de Terminale Bac Pro, cette expression peut aussi illustrer la très émouvante prise de parole de Gerd Klestadt, au CDI du Lycée Darche, au cours de la matinée du vendredi 20 octobre, de 10 h à 12 h devant une cinquantaine de personnes écoutant religieusement le récit de l’octogénaire. Pour l’occasion et comme à son habitude, Gerd Klestadt était venu avec plusieurs objets ; sa montre posée tout de suite sur la table pour rester « maître du temps », une clé USB, une bougie, et un grand pot… de billes ! La clé USB connectée à l’ordinateur du CDI renfermait un diaporama sur lequel Gerd Klestadt allait s’appuyer pour son intervention auprès des lycéens. Dès le début de sa prestation, la table derrière laquelle il s’est assis a servi de cadre à une petite « mise en scène » ; il a d’abord allumé la bougie, et sur un ton à la fois amical et solennel, il a invité le public à l’écouter… Emotions garanties au rendez-vous, le vieil homme s’est présenté comme « un juif international », il a alors raconté son parcours de vie…
Un homme extraordinaire
Gerd Klestadt est né en Allemagne le 23 décembre 1932. Arrêté à 11 ans en janvier 1943 avec sa famille, il est l’un des derniers survivants juifs luxembourgeois des camps nazis. Interné d’abord au camp de regroupement et de transit de Westerbork (au nord-est des Pays-Bas), sa famille et lui sont ensuite transférés le 31 janvier 1944 par train au camp de Bergen-Belsen, au nord de l’Allemagne (en Basse-Saxe). Gerd Klestadt se souvient des près de quatorze mois de sa vie passée dans le camp de Bergen-Belsen.
Son père prisonnier comme lui devait « travailler aux champs » et le jeune Gerd se retrouvait tous les matins devant « une immense montagne de chaussures » qu’il devait trier, sans savoir alors qu’elles avaient appartenu aux milliers de déportés morts dans les chambres à gaz. Toutes les nuits, il dormait avec son père corps contre corps, afin de se tenir chaud réciproquement. Au matin du 4 février 1945, au réveil, il a découvert son papa mort à ses côtés. Il ignore ce qu’est devenue la dépouille de son père.
Devant les élèves du lycée, en costume-cravate tiré à quatre épingles, le regard plein de malice et le geste alerte, Gerd Klestadt raconte avoir perdu une partie de sa famille dans la déportation. Il ponctue pourtant son bouleversant récit de mots pour rire, histoire de détendre un peu l’atmosphère. Gerd Klestadt avoue avoir attendu l’âge de 70 ans avant de prendre la parole en public ; et puis un jour, il s’est décidé à transmettre, à devenir un « passeur de mémoire ». Il explique que ses interventions scolaires lui ont apporté une sorte de résilience par rapport au traumatisme de la Shoah. Depuis qu’il a commencé à témoigner, il dresse un bilan ; celui d’avoir notamment rencontré dans les écoles françaises de la région Grand Est, du Luxembourg, de Belgique et d’Allemagne, plus de 18 000 élèves. « Les jeunes d’aujourd’hui, ce sont les dirigeants de demain » et ils peuvent « éviter les répétitions de la Shoah. »
Passeur de mémoire
A l’aide de nombreuses photographies saisissantes en noir et blanc projetées sur l’écran installé derrière lui, le rescapé a expliqué la déportation, la promiscuité dans les wagons à bestiaux, la vie insoutenable dans l’univers concentrationnaire et la folie nazie. Il garde en mémoire « les images des tas de cadavres qui étaient en train de se décomposer sous les arbres. Il y en avait des milliers, des milliers et des milliers. La mortalité à Bergen-Belsen était à peu près de 600 morts par jour. »
Gerd Klestadt a aussi parlé d’Anne Frank qu’il imagine avoir été inhumée aux côtés de son père à Bergen-Belsen. Il a également évoqué l’épisode de La Rose blanche de Hans et Sophie Scholl ; un groupe d’opposants allemands à Hitler, démantelés et condamnés à mort en 1943. Mais à propos du silence qui après la guerre entourait l’existence des camps de la mort, il a cité Albert Camus ; « Mal nommer [ou oublier] les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». Il a conclu ses propos par la projection de photographies d’événements historiques récents montrant que l’Homme n’avait finalement pas tiré de leçons du passé…
Tout ouïs à ses paroles, les élèves se sont montrés très attentifs durant toute la matinée. L’auditoire a été conquis par l’orateur rescapé des camps. A la fin de son intervention, les lycéens ont pu lui poser des questions sur sa jeunesse et le combat qu’il mène depuis quinze ans pour témoigner du génocide. Avant de prendre congé de son public, en véritable « passeur de mémoire », Gerd Klestadt a offert à chacune des personnes présentes une bille, pour se souvenir.